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LES ROUGON-MACQUART.

Il s’arrêta de nouveau, embarrassé par les choses énormes qu’il avait à raconter ; puis, baissant les paupières :

— Monsieur de Condamin est leste en paroles, et je crains qu’il n’ait pas de sens moral. Il ne ménage personne, il scandalise toutes les âmes honnêtes… Enfin, je ne sais trop comment vous apprendre cela, il aurait fait, dit-on, un mariage peu honorable. Vous voyez cette jeune femme qui n’a pas trente ans, celle qui est si entourée. Eh bien ! il nous l’a ramenée un jour à Plassans, on ne sait trop d’où. Dès le lendemain de son arrivée, elle était toute-puissante ici. C’est elle qui a fait décorer son mari et le docteur Porquier. Elle a des amis, à Paris… Je vous en prie, ne répétez point ces choses. Madame de Condamin est très-aimable, très-charitable. Je vais quelquefois chez elle, je serais désolé qu’elle me crût son ennemi. Si elle a des fautes à se faire pardonner, notre devoir, n’est-ce pas ? est de l’aider à revenir au bien. Quant au mari, entre nous, c’est un vilain homme. Soyez froid avec lui.

L’abbé Faujas regardait le digne Bourrette dans les yeux. Il venait de remarquer que madame Rougon suivait de loin leur entretien, d’un air préoccupé.

— Est-ce que ce n’est pas madame Rougon qui vous a prié de me donner un bon avis ? demanda-t-il brusquement au vieux prêtre.

— Tiens ! comment savez-vous cela ? s’écria celui-ci, très étonné. Elle m’avait prié de ne pas parler d’elle ; mais, puisque vous avez deviné… C’est une bonne personne, qui serait bien chagrine de voir un prêtre faire mauvaise figure chez elle. Elle est malheureusement forcée de recevoir toutes sortes de gens.

L’abbé Faujas remercia, en promettant d’être prudent. Les joueurs, autour d’eux, n’avaient pas levé la tête. Il rentra dans le grand salon, où il se sentit de nouveau dans un milieu hostile ; il constata même plus de froideur, plus de