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Page:Emile Zola - La Conquête de Plassans.djvu/88

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LES ROUGON-MACQUART.

nant, se trouvait au bas de l’escalier, heureux de faire, comme il le disait, un bout de chemin avec lui. Il l’avait remercié du petit service rendu à sa femme, tout en le questionnant habilement pour savoir s’il retournerait chez les Rougon. L’abbé s’était mis à sourire ; il avouait sans embarras ne pas être fait pour le monde. Mouret fut charmé ; s’imaginant entrer pour quelque chose dans la détermination de son locataire. Alors, il rêva de l’enlever complètement au salon vert, de le garder pour lui. Aussi, le soir où Marthe lui raconta que madame Faujas avait accepté deux poires, vit-il là une heureuse circonstance qui allait faciliter ses projets.

— Est-ce que réellement ils n’allument pas de feu, au second, par le froid qu’il fait ? demanda-t-il devant Rose.

— Dame ! monsieur, répondit la cuisinière, qui comprit que la question s’adressait à elle, ça serait difficile, puisque je n’ai jamais vu apporter le moindre fagot. À moins qu’ils ne brûlent leurs quatre chaises ou que madame Faujas ne monte du bois dans son panier.

— Vous avez tort de rire, Rose, dit Marthe. Ces malheureux doivent grelotter, dans ces grandes chambres.

— Je crois bien, reprit Mouret : il y a eu dix degrés, la nuit dernière, et l’on craint pour les oliviers. Notre pot à eau a gelé, en haut… Ici, la pièce est petite ; on a chaud tout de suite.

En effet, la salle à manger était soigneusement garnie de bourrelets, de façon que pas un souffle d’air ne passait par les fentes des boiseries. Un grand poêle de faïence entretenait là une chaleur de baignoire. L’hiver, les enfants lisaient ou jouaient autour de la table ; tandis que Mouret, en attendant l’heure du coucher, forçait sa femme à faire un piquet, ce qui était un véritable supplice pour elle. Longtemps elle avait refusé de toucher aux cartes, disant qu’elle ne savait aucun jeu ; mais il lui avait appris le piquet, et dès lors elle s’était résignée.