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LES ROUGON-MACQUART

une reine, et peu s’en faut que ton bon ami, M. de Mussy, ne t’envoie des baisers.

En effet, un cavalier saluait Renée. Maxime avait parlé d’un ton hypocritement moqueur. Mais Renée se tourna à peine, haussa les épaules. Cette fois, le jeune homme eut un geste désespéré.

— Vrai, dit-il, nous en sommes là ?… Mais, bon Dieu, tu as tout, que veux-tu encore ?

Renée leva la tête. Elle avait dans les yeux une clarté chaude, un ardent besoin de curiosité inassouvie.

— Je veux autre chose, répondit-elle à demi-voix.

— Mais puisque tu as tout, reprit Maxime en riant, autre chose, ce n’est rien… Quoi, autre chose ?

— Quoi ? répéta-t-elle…

Et elle ne continua pas. Elle s’était tout à fait tournée, elle contemplait l’étrange tableau qui s’effaçait derrière elle. La nuit était presque venue ; un lent crépuscule tombait comme une cendre fine. Le lac, vu de face, dans le jour pâle qui traînait encore sur l’eau, s’arrondissait, pareil à une immense plaque d’étain ; aux deux bords, les bois d’arbres verts dont les troncs minces et droits semblent sortir de la nappe dormante, prenaient, à cette heure, des apparences de colonnades violâtres, dessinant de leur architecture régulière les courbes étudiées des rives ; puis, au fond, des massifs montaient, de grands feuillages confus, de larges taches noires fermaient l’horizon. Il y avait là, derrière ces taches, une lueur de braise, un coucher de soleil à demi éteint qui n’enflammait qu’un bout de l’immensité grise. Au-dessus de ce lac immobile, de ces futaies basses, de ce point de vue si singulièrement plat, le creux du ciel s’ouvrait, infini, plus profond et plus large. Ce grand