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LA CURÉE

pas sur des misères… Cette maison doit valoir les cinq cent mille francs ; c’est un de nos hommes, un employé de la Ville, qui a fixé ce chiffre… Vraiment, on dirait que nous vivons dans la forêt de Bondy ; vous verrez que nous finirons par nous soupçonner entre nous.

Le baron Gouraud, appesanti sur son siège, regardait du coin de l’œil, d’un air surpris, M. Toutin-Laroche jetant feu et flamme en faveur du propriétaire de la rue de la Pépinière. Il eut un soupçon. Mais, en somme, comme cette sortie violente le dispensait de prendre la parole, il se mit à hocher doucement la tête, en signe d’approbation absolue. Le membre de la rue d’Astorg résistait, révolté, ne voulant pas plier devant les deux tyrans de la commission, dans une question où il était plus compétent que ces messieurs. Ce fut alors que M. Toutin-Laroche, ayant remarqué les signes approbatifs du baron, s’empara vivement du dossier et dit d’une voix sèche :

— C’est bien. Nous éclaircirons vos doutes… Si vous le permettez, je me charge de l’affaire, et le baron Gouraud fera l’enquête avec moi.

— Oui, oui, dit gravement le baron, rien de louche ne doit entacher nos décisions.

Le dossier avait déjà disparu dans les vastes poches de M. Toutin-Laroche. La commission dut s’incliner. Sur le quai, comme ils sortaient, les deux compères se regardèrent sans rire. Ils se sentaient complices, ce qui redoublait leur aplomb. Deux esprits vulgaires eussent provoqué une explication ; eux continuèrent à plaider la cause des propriétaires, comme si on eût pu les entendre encore, et à déplorer l’esprit de méfiance qui se glissait partout. Au moment où ils allaient se quitter :