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LA CURÉE

le jeune duc de Rozan, ne fut guère qu’un déjeuner de soleil ; Renée, qui l’avait remarqué pour sa douceur et sa tenue excellente, le trouva en tête-à-tête absolument nul, déteint, assommant. M. Simpson, attaché à l’ambassade américaine, qui vint ensuite, faillit la battre, et dut à cela de rester plus d’un an avec elle. Puis, elle accueillit le comte de Chibray, un aide de camp de l’empereur, bel homme vaniteux qui commençait à lui peser singulièrement lorsque la duchesse de Sternich s’avisa de s’en amouracher et de le lui prendre ; alors elle le pleura, elle fit entendre à ses amies que son cœur était broyé, qu’elle n’aimerait plus. Elle en arriva ainsi à M. de Mussy, l’être le plus insignifiant du monde, un jeune homme qui faisait son chemin dans la diplomatie en conduisant le cotillon avec des grâces particulières ; elle ne sut jamais bien comment elle s’était livrée à lui, et le garda longtemps, prise de paresse, dégoûtée d’un inconnu qu’on découvre en une heure, attendant, pour se donner les soucis d’un changement, de rencontrer quelque aventure extraordinaire. À vingt-huit ans, elle était déjà horriblement lasse. L’ennui lui paraissait d’autant plus insupportable, que ses vertus bourgeoises profitaient des heures où elle s’ennuyait pour se plaindre et l’inquiéter. Elle fermait sa porte, elle avait des migraines affreuses. Puis, quand la porte se rouvrait, c’était un flot de soie et de dentelles qui s’en échappait à grand tapage, une créature de luxe et de joie, sans un souci ni une rougeur au front.

Dans sa vie banale et mondaine, elle avait eu cependant un roman. Un jour, au crépuscule, comme elle était sortie à pied pour aller voir son père, qui n’aimait pas à sa porte le bruit des voitures, elle s’aperçut, au