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Page:Emile Zola - La Curée.djvu/34

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LES ROUGON-MACQUART

— Les travaux de Paris, dit-il, ont fait vivre l’ouvrier.

— Dites aussi, reprit M. Toutin-Laroche, qu’ils ont donné un magnifique élan aux affaires financières et industrielles.

— Et n’oubliez pas le côté artistique ; les nouvelles voies sont majestueuses, ajouta M. Hupel de la Noue, qui se piquait d’avoir du goût.

— Oui, oui, c’est un beau travail, murmura M. de Mareuil, pour dire quelque chose.

— Quant à la dépense, déclara gravement le député Haffner, qui n’ouvrait la bouche que dans les grandes occasions, nos enfants la payeront, et rien ne sera plus juste.

Et comme, en disant cela, il regardait M. de Saffré que la jolie Mme Michelin semblait bouder depuis un instant, le jeune secrétaire pour paraître au courant de ce qu’on disait, répéta :

— Rien ne sera plus juste, en effet.

Tout le monde avait dit son mot, dans le groupe que les hommes graves formaient au milieu de la table. M. Michelin, le chef de bureau, souriait, dodelinait de la tête ; c’était, d’ordinaire, sa façon de prendre part à une conversation ; il avait des sourires pour saluer, pour répondre, pour approuver, pour remercier, pour prendre congé, toute une jolie collection de sourires qui le dispensaient presque de jamais se servir de la parole, ce qu’il jugeait sans doute plus poli et plus favorable à son avancement.

Un autre personnage était également resté muet, le baron Gouraud, qui mâchait lentement comme un bœuf aux paupières lourdes. Jusque-là, il avait paru absorbé dans le spectacle de son assiette. Renée, aux petits soins pour lui, n’en obtenait que de légers grognements de