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LES ROUGON-MACQUART

gain le plus clair était encore les confidences qu’elle recevait partout et qui la mettaient sur la piste des bons coups et des bonnes aubaines. Vivant chez les autres, dans les affaires des autres, elle était un véritable répertoire vivant d’offres et de demandes. Elle savait où il y avait une fille à marier tout de suite, une famille qui avait besoin de trois mille francs, un vieux monsieur qui prêterait bien les trois mille francs, mais sur des garanties solides, et à gros intérêts. Elle savait des choses plus délicates encore : les tristesses d’une dame blonde que son mari ne comprenait pas, et qui aspirait à être comprise ; le secret désir d’une bonne mère rêvant de placer sa demoiselle avantageusement ; les goûts d’un baron porté sur les petits soupers et les filles très jeunes. Et elle colportait, avec un sourire pâle, ces demandes et ces offres ; elle faisait deux lieues pour aboucher les gens ; elle envoyait le baron chez la bonne mère, décidait le vieux monsieur à prêter les trois mille francs à la famille gênée, trouvait des consolations pour la dame blonde et un époux peu scrupuleux pour la fille à marier. Elle avait aussi de grandes affaires, des affaires qu’elle pouvait avouer tout haut, et dont elle rebattait les oreilles des gens qui l’approchaient : un long procès qu’une famille noble ruinée l’avait chargée de suivre, et une dette contractée par l’Angleterre vis-à-vis de la France, du temps des Stuarts, et dont le chiffre, avec les intérêts composés, montait à près de trois milliards. Cette dette de trois milliards était son dada ; elle expliquait le cas avec un grand luxe de détails, faisait tout un cours d’histoire, et des rougeurs d’enthousiasme montaient à ses joues, molles et jaunes d’ordinaire comme de la cire. Parfois, entre une course chez un