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Page:Emile Zola - La Curée.djvu/84

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LES ROUGON-MACQUART

cultés et les délicatesses de la situation qu’il avait acceptée.

Madame Sidonie, dans l’affreuse nuit de l’agonie d’Angèle, avait fidèlement conté en quelques mots le cas de la famille Béraud. Le chef, M. Béraud du Châtel, un grand vieillard de soixante ans, était le dernier représentant d’une ancienne famille bourgeoise, dont les titres remontaient plus haut que ceux de certaines familles nobles. Un de ses ancêtres était compagnon d’Étienne Marcel. En 93, son père mourait sur l’échafaud, après avoir salué la République de tous ses enthousiasmes de bourgeois de Paris, dans les veines duquel coulait le sang révolutionnaire de la cité. Lui-même était un de ces républicains de Sparte, rêvant un gouvernement d’entière justice et de sage liberté. Vieilli dans la magistrature, où il avait pris une roideur et une sévérité de profession, il donna sa démission de président de chambre, en 1851, lors du coup d’État, après avoir refusé de faire partie d’une de ces commissions mixtes qui déshonorèrent la justice française. Depuis cette époque, il vivait solitaire et retiré dans son hôtel de l’île Saint-Louis, qui se trouvait à la pointe de l’île, presque en face de l’hôtel Lambert. Sa femme était morte jeune. Quelque drame secret, dont la blessure saignait toujours, dut assombrir encore la figure du magistrat. Il avait déjà une fille de huit ans, Renée, lorsque sa femme expira en donnant le jour à une seconde fille. Cette dernière, qu’on nomma Christine, fut recueillie par une sœur de M. Béraud du Châtel, mariée au notaire Aubertot. Renée alla au couvent. Madame Aubertot, qui n’avait pas d’enfant, se prit d’une tendresse maternelle pour Christine, qu’elle éleva auprès d’elle. Son mari étant mort, elle ramena la petite à son