Page:Emile Zola - La Fortune des Rougon.djvu/110

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
110
LES ROUGON-MACQUART.

à la pensée de se renfermer dans son petit logement, dû à la charité du comte de Valqueyras. Ce fut avec une joie malicieuse qu’il garda pour lui la conviction que l’heure des Bourbons n’était pas venue. Il feignit l’aveuglement, travaillant comme par le passé au triomphe de la légitimité, restant toujours aux ordres du clergé et de la noblesse. Dès le premier jour, il avait pénétré la nouvelle tactique de Pierre, et il croyait que Félicité était sa complice.

Un soir, étant arrivé le premier, il trouva la vieille femme seule dans le salon.

— Eh bien ! petite, lui demanda-t-il avec sa familiarité souriante, vos affaires marchent ?… Pourquoi, diantre ! fais-tu la cachottière avec moi ?

— Je ne fais pas la cachottière, répondit Félicité intriguée.

— Voyez-vous, elle croit tromper un vieux renard de mon espèce ! Eh ! ma chère enfant, traite-moi en ami. Je suis tout prêt à vous aider secrètement… Allons, sois franche.

Félicité eut un éclair d’intelligence. Elle n’avait rien à dire, elle allait peut-être tout apprendre, si elle savait se taire.

— Tu souris ? reprit M. de Carnavant. C’est le commencement d’un aveu. Je me doutais bien que tu devais être derrière ton mari ! Pierre est trop lourd pour inventer la jolie trahison que vous préparez… Vrai, je souhaite de tout mon cœur que les Bonaparte vous donnent ce que j’aurais demandé pour toi aux Bourbons.

Cette simple phrase confirma les soupçons que la vieille femme avait depuis quelque temps.

— Le prince Louis a toutes les chances, n’est-ce pas ? demanda-t-elle vivement.

— Me trahiras-tu si je te dis que je le crois ? répondit en riant le marquis. J’en ai fait mon deuil, petite. Je suis un