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LA FORTUNE DES ROUGON.

— Ma foi ! j’aime mieux cela, dit Sicardot en remarquant la fuite des autres adhérents. Ces poltrons finissaient par m’exaspérer. Depuis plus de deux ans, ils parlent de fusiller tous les républicains de la contrée, et aujourd’hui ils ne leur tireraient seulement pas sous le nez un pétard d’un sou.

Il prit son chapeau et se dirigea vers la porte.

— Voyons, continua-t-il, le temps presse… Venez, Rougon.

Félicité semblait attendre ce moment. Elle se jeta entre la porte et son mari, qui, d’ailleurs, ne s’empressait guère de suivre le terrible Sicardot.

— Je ne veux pas que tu sortes, cria-t-elle, en feignant un subit désespoir. Jamais je ne te laisserai me quitter. Ces gueux te tueraient.

Le commandant s’arrêta, étonné.

— Sacrebleu ! gronda-t-il, si les femmes se mettent à pleurnicher, maintenant… Venez donc, Rougon.

— Non, non, reprit la vieille femme en affectant une terreur de plus en plus croissante, il ne vous suivra pas ; je m’attacherai plutôt à ses vêtements.

Le marquis, très-surpris de cette scène, regardait curieusement Félicité. Était-ce bien cette femme qui, tout à l’heure, causait si gaiement ? Quelle comédie jouait-elle donc ? Cependant Pierre, depuis que sa femme le retenait, faisait mine de vouloir sortir à toute force.

— Je te dis que tu ne sortiras pas, répétait la vieille, qui se cramponnait à l’un de ses bras.

Et, se tournant vers le commandant :

— Comment pouvez-vous songer à résister ? Ils sont trois mille et vous ne réunirez pas cent hommes de courage. Vous allez vous faire égorger inutilement.

— Eh ! c’est notre devoir, dit Sicardot impatienté.

Félicité éclata en sanglots.