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IV


Antoine Macquart revint à Plassans après la chute de Napoléon. Il avait eu l’incroyable chance de ne faire aucune des dernières et meurtrières campagnes de l’Empire. Il s’était traîné de dépôt en dépôt, sans que rien le tirât de sa vie hébétée de soldat. Cette vie acheva de développer ses vices naturels. Sa paresse devint raisonnée ; son ivrognerie, qui lui valut un nombre incalculable de punitions, fut dès lors à ses yeux une religion véritable. Mais ce qui fit surtout de lui le pire des garnements, ce fut le beau dédain qu’il contracta pour les pauvres diables qui gagnaient le matin leur pain du soir.

— J’ai de l’argent au pays, disait-il souvent à ses camarades ; quand j’aurai fait mon temps, je pourrai vivre bourgeois.

Cette croyance et son ignorance crasse l’empêchèrent d’arriver même au grade de caporal.

Depuis son départ, il n’était pas venu passer un seul jour de congé à Plassans, son frère inventant mille prétextes pour l’en tenir éloigné. Aussi ignorait-il complétement la façon