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LES ROUGON-MACQUART.


Antoine faillit étrangler de colère.

— Et mon argent, criait-il, me le rendras-tu, voleur, ou faudra-t-il que je te traîne devant les tribunaux ?

Pierre haussait les épaules :

— Je n’ai pas d’argent à vous, répondit-il, de plus en plus calme. Ma mère a disposé de sa fortune comme elle l’a entendu. Ce n’est pas moi qui irai mettre le nez dans ses affaires. J’ai renoncé volontiers à toute espérance d’héritage. Je suis à l’abri de vos sales accusations.

Et, comme son frère bégayait, exaspéré par ce sang-froid et ne sachant plus que croire, il lui mit sous les yeux le reçu qu’Adélaïde avait signé. La lecture de cette pièce acheva d’accabler Antoine.

— C’est bien, dit-il d’une voix presque calmée, je sais ce qu’il me reste à faire.

La vérité était qu’il ne savait quel parti prendre. Son impuissance à trouver un moyen immédiat d’avoir sa part et de se venger, activait encore sa fièvre furieuse. Il revint chez sa mère, il lui fit subir un interrogatoire honteux. La malheureuse femme ne pouvait que le renvoyer chez Pierre.

— Est-ce que vous croyez, s’écria-t-il insolemment, que vous allez me faire aller comme une navette ? Je saurai bien qui de vous deux a le magot. Tu l’as peut-être déjà croqué, toi ?…

Et, faisant allusion à son ancienne inconduite, il lui demanda si elle n’avait pas quelque canaille d’homme auquel elle donnait ses derniers sous. Il n’épargna même pas son père, cet ivrogne de Macquart, disait-il, qui devait l’avoir grugée jusqu’à sa mort, et qui laissait ses enfants sur la paille. La pauvre femme écoutait, d’un air hébété. De grosses larmes coulaient sur ses joues. Elle se défendit avec une terreur d’enfant, répondant aux questions de son fils comme à celles d’un juge, jurant qu’elle se conduisait bien, et répétant toujours avec insistance qu’elle n’avait pas eu un