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Page:Emile Zola - La Fortune des Rougon.djvu/145

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LA FORTUNE DES ROUGON.

mêmes, il ne réussit pas à les effrayer. Pierre profita même de cette occasion pour le jeter à la porte, en lui défendant de jamais remettre les pieds chez lui. Antoine eut beau reprendre ses accusations : la ville, qui connaissait la munificence de son frère, dont Félicité avait fait grand bruit, lui donna tort et le traita de fainéant. Cependant la faim le pressait. Il menaça de se faire contrebandier comme son père, et de commettre quelque mauvais coup qui déshonorerait sa famille. Les Rougon haussèrent les épaules ; ils le savaient trop lâche pour risquer sa peau. Enfin, plein d’une rage sourde contre ses proches et contre la société tout entière, Antoine se décida à chercher du travail.

Il avait fait connaissance, dans un cabaret du faubourg, d’un ouvrier vannier qui travaillait en chambre. Il lui offrit de l’aider. En peu de temps, il apprit à tresser des corbeilles et des paniers, ouvrages grossiers et à bas prix, d’une vente facile. Bientôt il travailla pour son compte. Ce métier peu fatigant lui plaisait. Il restait maître de ses paresses, et c’était là surtout ce qu’il demandait. Il se mettait à la besogne lorsqu’il ne pouvait plus faire autrement, tressant à la hâte une douzaine de corbeilles qu’il allait vendre au marché. Tant que l’argent durait, il flânait, courant les marchands de vin, digérant au soleil ; puis, quand il avait jeûné pendant un jour, il reprenait ses brins d’osier avec de sourdes invectives, accusant les riches, qui, eux, vivent sans rien faire. Le métier de vannier, ainsi entendu, est fort ingrat ; son travail n’aurait pu suffire à payer ses soûleries, s’il ne s’était arrangé de façon à se procurer de l’osier à bon compte. Comme il n’en achetait jamais à Plassans, il disait qu’il allait faire chaque mois sa provision dans une ville voisine, où il prétendait qu’on le vendait meilleur marché. La vérité était qu’il se fournissait dans les oseraies de la Viorne, par les nuits sombres. Le garde champêtre l’y surprit même une fois, ce qui lui valut quelques jours de prison. Ce fut à par-