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LA FORTUNE DES ROUGON.

besogne, elle aurait pu mettre quelque argent de côté, si elle n’avait aimé les liqueurs ; elle adorait l’anisette. Souvent, le dimanche soir, on était obligé de la rapporter chez elle.

Toute la semaine, elle travaillait avec entêtement de bête. Elle faisait trois ou quatre métiers, vendait des fruits ou des châtaignes bouillies à la halle, suivant la saison, s’occupait des ménages de quelques rentiers, allait laver la vaisselle chez les bourgeois les jours de gala, et employait ses loisirs à rempailler les vieilles chaises. C’était surtout comme rempailleuse qu’elle était connue de la ville entière. On fait, dans le Midi, une grande consommation de chaises de paille, qui y sont d’un usage commun.

Antoine Macquart lia connaissance avec Fine à la halle. Quand il allait y vendre ses corbeilles, l’hiver, il se mettait, pour avoir chaud, à côté du fourneau sur lequel elle faisait cuire ses châtaignes. Il fut émerveillé de son courage, lui que la moindre besogne épouvantait. Peu à peu, sous l’apparente rudesse de cette forte commère, il découvrit des timidités, des bontés secrètes. Souvent il lui voyait donner des poignées de châtaignes aux marmots en guenilles qui s’arrêtaient en extase devant sa marmite fumante. D’autres fois, lorsque l’inspecteur du marché la bousculait, elle pleurait presque, sans paraître avoir conscience de ses gros poings. Antoine finit par se dire que c’était la femme qu’il lui fallait. Elle travaillerait pour deux, et il ferait la loi au logis. Ce serait sa bête de somme, une bête infatigable et obéissante. Quant à son goût pour les liqueurs, il le trouvait tout naturel. Après avoir bien pesé les avantages d’une pareille union, il se déclara. Fine fut ravie. Jamais aucun homme n’avait osé s’attaquer à elle. On eut beau lui dire qu’Antoine était le pire des chenapans, elle ne se sentit pas le courage de se refuser au mariage que sa forte nature réclamait depuis longtemps. Le soir même des noces, le jeune homme vint habi-