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LA FORTUNE DES ROUGON.

— Mais, mon oncle, vous devriez travailler.

— Ah ! oui, ricanait Macquart touché au vif de sa plaie, tu veux que je travaille, n’est-ce pas ? pour que ces gueux de riches spéculent encore sur moi. Je gagnerais peut-être vingt sous à m’exterminer le tempérament. Ça vaut bien la peine !

— On gagne ce qu’on peut, répondait le jeune homme. Vingt sous, c’est vingt sous, et ça aide dans une maison… D’ailleurs, vous êtes un ancien soldat, pourquoi ne cherchez-vous pas un emploi ?

Fine intervenait alors, avec une étourderie dont elle se repentait bientôt.

— C’est ce que je lui répète tous les jours, disait-elle. Ainsi l’inspecteur du marché a besoin d’un aide ; je lui ai parlé de mon mari, il paraît bien disposé pour nous…

Macquart l’interrompait en la foudroyant d’un regard.

— Eh ! tais-toi, grondait-il avec une colère contenue. Ces femmes ne savent pas ce qu’elles disent ! On ne voudrait pas de moi. On connaît trop bien mes opinions.

À chaque place qu’on lui offrait, il entrait ainsi dans une irritation profonde. Il ne cessait cependant de demander des emplois, quitte à refuser ceux qu’on lui trouvait, en alléguant les plus singulières raisons. Quand on le poussait sur ce point, il devenait terrible.

Si Jean, après le dîner, prenait un journal :

— Tu ferais mieux d’aller te coucher. Demain tu te lèveras tard, et ce sera encore une journée de perdue… Dire que ce galopin-là a rapporté huit francs de moins la semaine dernière ! Mais j’ai prié son patron de ne plus lui remettre son argent. Je le toucherai moi-même.

Jean allait se coucher, pour ne pas entendre les récriminations de son père. Il sympathisait peu avec Silvère ; la politique l’ennuyait, et il trouvait que son cousin était « toqué ». Lorsqu’il ne restait plus que les femmes, si par