Page:Emile Zola - La Fortune des Rougon.djvu/174

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
174
LES ROUGON-MACQUART.


— Si tu étais un homme, disait Antoine en finissant, tu viendrais un jour avec moi, et nous ferions un beau vacarme chez les Rougon. Nous ne sortirions pas sans qu’on nous donnât de l’argent.

Mais Silvère devenait grave et répondait d’une voix nette :

— Si ces misérables nous ont dépouillés, tant pis pour eux ! Je ne veux pas de leur argent. Voyez-vous, mon oncle, ce n’est pas à nous qu’il appartient de frapper notre famille. Ils ont mal agi, ils seront terriblement punis un jour.

— Ah ! quel grand innocent ! criait l’oncle. Quand nous serons les plus forts, tu verras si je ne fais pas mes petites affaires moi-même. Le bon Dieu s’occupe bien de nous ! La sale famille, la sale famille que la nôtre ! Je crèverais de faim, que pas un de ces gueux-là ne me jetterait un morceau de pain sec.

Lorsque Macquart entamait ce sujet, il ne tarissait pas. Il montrait à nu les blessures saignantes de son envie. Il voyait rouge, dès qu’il venait à songer que lui seul n’avait pas eu de chance dans la famille, et qu’il mangeait des pommes de terre, quand les autres avaient de la viande à discrétion. Tous ses parents, jusqu’à ses petits-neveux, passaient alors par ses mains, et il trouvait des griefs et des menaces contre chacun d’eux.

— Oui, oui, répétait-il avec amertume, ils me laisseraient crever comme un chien.

Gervaise, sans lever la tête, sans cesser de tirer son aiguille, disait parfois timidement :

— Pourtant, papa, mon cousin Pascal a été bon pour nous, l’année dernière, quand tu étais malade.

— Il t’a soigné sans jamais demander un sou, reprenait Fine, venant au secours de sa fille, et souvent il m’a glissé des pièces de cinq francs pour te faire du bouillon.

— Lui ! il m’aurait fait crever, si je n’avais pas eu une bonne constitution ! s’exclamait Macquart. Taisez-vous,