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LA FORTUNE DES ROUGON.

quartier, et qui arrivèrent ainsi sur la place du Marché et sur la place de l’Hôtel-de-Ville, qu’une rue courte et large relie entre elles. Les deux places, plantées d’arbres maigres, se trouvaient vivement éclairées par la lune. Le bâtiment de l’Hôtel-de-Ville, fraîchement restauré, faisait, au bord du ciel clair, une grande tache d’une blancheur crue sur laquelle le balcon du premier étage détachait en minces lignes noires ses arabesques de fer forgé. On distinguait nettement plusieurs personnes debout sur ce balcon, le maire, le commandant Sicardot, trois ou quatre conseillers municipaux, et d’autres fonctionnaires. En bas, les portes étaient fermées. Les trois mille républicains, qui emplissaient les deux places, s’arrêtèrent, levant la tête, prêts à enfoncer les portes d’une poussée.

L’arrivée de la colonne insurrectionnelle, à pareille heure, surprenait l’autorité à l’improviste. Avant de se rendre à la mairie, le commandant Sicardot avait pris le temps d’aller endosser son uniforme. Il fallut ensuite courir éveiller le maire. Quand le gardien de la porte de Rome, laissé libre par les insurgés, vint annoncer que les scélérats étaient dans la ville, le commandant n’avait encore réuni à grand’peine qu’une vingtaine de gardes nationaux. Les gendarmes, dont la caserne était cependant voisine, ne purent même être prévenus. On dut fermer les portes à la hâte pour délibérer. Cinq minutes plus tard, un roulement sourd et continu annonçait l’approche de la colonne.

M. Garçonnet, par haine de la république, aurait vivement souhaité de se défendre. Mais c’était un homme prudent qui comprit l’inutilité de la lutte, en ne voyant autour de lui que quelques hommes pâles et à peine éveillés. La délibération ne fut pas longue. Seul Sicardot s’entêta ; il voulait se battre, il prétendait que vingt hommes suffiraient pour mettre ces trois mille canailles à la raison. M. Garçonnet haussa les épaules et déclara que l’unique parti à prendre était de