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LA FORTUNE DES ROUGON.

quand il entendit un monsieur en simple paletot parler de casser un maire ceint de son écharpe, il ne put se taire davantage, il cria :

— Tas de gueux ! si j’avais seulement quatre hommes et un caporal, je descendrais vous tirer les oreilles pour vous rappeler au respect !

Il n’en fallait pas tant pour occasionner les plus graves accidents. Un long cri courut dans la foule, qui se rua contre les portes de la mairie. M. Garçonnet, consterné, se hâta de quitter le balcon, en suppliant Sicardot d’être raisonnable, s’il ne voulait pas les faire massacrer. En deux minutes, les portes cédèrent, le peuple envahit la mairie et désarma les gardes nationaux. Le maire et les autres fonctionnaires présents furent arrêtés. Sicardot, qui voulut refuser son épée, dut être protégé par le chef du contingent des Tulettes, homme d’un grand sang-froid, contre l’exaspération de certains insurgés. Quand l’Hôtel-de-Ville fut au pouvoir des républicains, ils conduisirent les prisonniers dans un petit café de la place du Marché, où ils furent gardés à vue.

L’armée insurrectionnelle aurait évité de traverser Plassans, si les chefs n’avaient jugé qu’un peu de nourriture et quelques heures de repos étaient pour leurs hommes d’une absolue nécessité. Au lieu de se porter directement sur le chef-lieu, la colonne, par une inexpérience et une faiblesse inexcusables du général improvisé qui la commandait, accomplissait alors une conversion à gauche, une sorte de large détour qui devait la mener à sa perte. Elle se dirigeait vers les plateaux de Sainte-Roure, éloignés encore d’une dizaine de lieues, et c’était la perspective de cette longue marche qui l’avait décidée à pénétrer dans la ville, malgré l’heure avancée. Il pouvait être alors onze heures et demie.

Lorsque M. Garçonnet sut que la bande réclamait des vivres, il s’offrit pour lui en procurer. Ce fonctionnaire montra, en cette circonstance difficile, une intelligence très-nette