Page:Emile Zola - La Fortune des Rougon.djvu/194

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
194
LES ROUGON-MACQUART.

doucement, pour la consoler, elle eut un geste de brusque énergie.

— Non, dit-elle, je ne pleure plus, tu vois… J’aime mieux ça. Maintenant, je n’ai plus de remords d’être partie. Je suis libre.

Elle reprit le drapeau, et ce fut elle qui ramena Silvère au milieu des insurgés. Il était alors près de deux heures du matin. Le froid devenait tellement vif, que les républicains s’étaient levés, achevant leur pain debout et cherchant à se réchauffer en marquant le pas gymnastique sur place. Les chefs donnèrent enfin l’ordre du départ. La colonne se reforma. Les prisonniers furent placés au milieu ; outre M. Garçonnet et le commandant Sicardot, les insurgés avaient arrêté et emmenaient M. Peirotte, le receveur, et plusieurs autres fonctionnaires.

À ce moment, on vit circuler Aristide parmi les groupes. Le cher garçon, devant ce soulèvement formidable, avait pensé qu’il était imprudent de ne pas rester l’ami des républicains ; mais comme, d’un autre côté, il ne voulait pas trop se compromettre avec eux, il était venu leur faire ses adieux, le bras en écharpe, en se plaignant amèrement de cette maudite blessure qui l’empêchait de tenir une arme. Il rencontra dans la foule son frère Pascal, muni d’une trousse et d’une petite caisse de secours. Le médecin lui annonça, de sa voix tranquille, qu’il allait suivre les insurgés. Aristide le traita tout bas de grand innocent. Il finit par s’esquiver, craignant qu’on ne lui confiât la garde de la ville, poste qu’il jugeait singulièrement périlleux.

Les insurgés ne pouvaient songer à conserver Plassans en leur pouvoir. La ville était animée d’un esprit trop réactionnaire, pour qu’ils cherchassent même à y établir une commission démocratique, comme ils l’avaient déjà fait ailleurs. Ils se seraient éloignés simplement, si Macquart, poussé et enhardi par ses haines, n’avait offert de tenir Plassans en