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LA FORTUNE DES ROUGON.

Il s’arrêta.

— Si nous sommes vaincus ?… répéta Miette doucement.

— Alors, à la grâce de Dieu ! continua Silvère d’une voix plus basse. Je ne serai plus là sans doute, tu consoleras la pauvre vieille. Ça vaudrait mieux.

— Oui, tu le disais tout à l’heure, murmura la jeune fille, il vaut mieux mourir.

À ce désir de mort, ils eurent une étreinte plus étroite. Miette comptait bien mourir avec Silvère ; celui-ci n’avait parlé que de lui, mais elle sentait qu’il l’emporterait avec joie dans la terre. Ils s’y aimeraient plus librement qu’au grand soleil. Tante Dide mourrait, elle aussi, et viendrait les rejoindre. Ce fut comme un pressentiment rapide, un souhait d’une étrange volupté que le ciel, par les voix désolées du tocsin, leur promettait de bientôt satisfaire. Mourir ! mourir ! les cloches répétaient ce mot avec un emportement croissant, et les amoureux se laissaient aller à ces appels de l’ombre ; ils croyaient prendre un avant-goût du dernier sommeil, dans cette somnolence où les replongeaient la tiédeur de leurs membres et les brûlures de leurs lèvres, qui venaient encore de se rencontrer.

Miette ne se défendait plus. C’était elle, maintenant, qui collait sa bouche sur celle de Silvère, qui cherchait avec une muette ardeur, cette joie dont elle n’avait pu d’abord supporter l’amère cuisson. Le rêve d’une mort prochaine l’avait enfiévrée ; elle ne se sentait plus rougir, elle s’attachait à son amant, elle semblait vouloir épuiser, avant de se coucher dans la terre, ces voluptés nouvelles, dans lesquelles elle venait à peine de tremper les lèvres, et dont elle s’irritait de ne pas pénétrer sur-le-champ tout le poignant inconnu. Au delà du baiser, elle devinait autre chose qui l’épouvantait et l’attirait, dans le vertige de ses sens éveillés. Et elle s’abandonnait ; elle eût supplié Silvère de dé-