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LES ROUGON-MACQUART.

coude, le bras était d’un brun doré, comme vêtu de hâle ; mais plus loin, dans l’ombre de la manche de chemise retroussée, Silvère apercevait une rondeur nue, d’une blancheur de lait. Il se troubla, se pencha davantage, et put enfin saisir le ciseau. La petite paysanne commençait à être embarrassée. Puis ils restèrent là, à se sourire encore, l’enfant en bas, la face toujours levée, le jeune garçon à demi couché sur le chaperon du mur. Ils ne savaient comment se séparer. Ils n’avaient pas échangé une parole. Silvère oubliait même de dire merci.

— Comment t’appelles-tu ? demanda-t-il.

— Marie, répondit la paysanne ; mais tout le monde m’appelle Miette.

Elle se haussa légèrement, et, de sa voix nette :

— Et toi ? demanda-t-elle à son tour.

— Moi, je m’appelle Silvère, répondit le jeune ouvrier.

Il y eut un silence, pendant lequel ils parurent écouter complaisamment la musique de leurs noms.

— Moi, j’ai quinze ans, reprit Silvère. Et toi ?

— Moi, dit Miette, j’aurai onze ans à la Toussaint.

Le jeune ouvrier fit un geste de surprise.

— Ah ! bien, dit-il en riant, moi qui t’avais prise pour une femme !… Tu as de gros bras.

Elle se mit à rire, elle aussi, en baissant les yeux sur ses bras. Puis ils ne se dirent plus rien. Ils demeurèrent encore un bon moment, à se regarder et à sourire. Comme Silvère semblait n’avoir plus de questions à lui adresser, Miette s’en alla tout simplement et se remit à arracher les mauvaises herbes, sans lever la tête. Lui, resta un instant sur le mur. Le soleil se couchait ; une nappe de rayons obliques coulait sur les terres jaunes du Jas-Meiffren ; les terres flambaient, on eût dit un incendie courant au ras du sol. Et, dans cette nappe flambante, Silvère regardait la petite paysanne accroupie et dont les bras nus avaient repris leur