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LA FORTUNE DES ROUGON.

— Je sais qu’on te fait du chagrin. Il faut que cela cesse. C’est moi qui te défendrai maintenant. Veux-tu ?

L’enfant rayonnait. Cette amitié qui s’offrait à elle la tirait de tous ses mauvais rêves de haines muettes. Elle hocha la tête, elle répondit :

— Non, je ne veux pas que tu te battes pour moi. Tu aurais trop à faire. Puis il est des gens contre lesquels tu ne peux me défendre.

Silvère voulut crier qu’il la défendrait contre le monde entier, mais elle lui ferma la bouche, d’un geste câlin, en ajoutant :

— Il me suffit que tu sois mon ami.

Alors ils causèrent quelques minutes, en baissant la voix le plus possible. Miette parla à Silvère de son oncle et de son cousin. Pour rien au monde, elle n’aurait voulu qu’ils le vissent ainsi à califourchon sur le chaperon du mur. Justin serait implacable s’il avait une arme contre elle. Elle disait ses craintes avec l’effroi d’une écolière qui rencontre une amie que sa mère lui a défendu de fréquenter. Silvère comprit seulement qu’il ne pourrait voir Miette à son aise. Cela l’attrista beaucoup. Il promit cependant de ne plus remonter sur le mur. Ils cherchaient tous deux un moyen pour se revoir, lorsque Miette le supplia de s’en aller ; elle venait d’apercevoir Justin qui traversait la propriété, en se dirigeant du côté du puits. Silvère se hâta de descendre. Quand il fut dans la petite cour, il resta au pied du mur, prêtant l’oreille, irrité de sa fuite. Au bout de quelques minutes, il se hasarda à grimper de nouveau et à jeter un coup d’œil dans le Jas-Meiffren ; mais il vit Justin qui causait avec Miette, il retira vite la tête. Le lendemain, il ne put voir son amie, pas même de loin ; elle devait avoir fini sa besogne dans cette partie du Jas. Huit jours se passèrent ainsi, sans que les deux camarades eussent l’occasion d’échanger une seule parole. Sil-