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LES ROUGON-MACQUART.

ne sont pas les gros travaux qui me désolent ; au contraire, je suis souvent heureuse des duretés de mon oncle et des besognes qu’il m’impose. Il a eu raison de faire de moi une paysanne ; j’aurais peut-être mal tourné ; car vois-tu, Silvère, il y a des moments où je me crois maudite… Alors je voudrais être morte… Je pense à celui que tu sais…

En prononçant ces dernières paroles, la voix de l’enfant se brisa dans un sanglot. Silvère l’interrompit d’un ton presque rude.

— Tais-toi ! dit-il. Tu m’avais promis de moins songer à cela. Ce n’est pas ton crime.

Puis il ajouta d’un accent plus doux :

— Nous nous aimons bien, n’est-ce pas ? Quand nous serons mariés, tu n’auras plus de mauvaises heures.

— Je sais, murmura Miette, tu es bon, tu me tends la main. Mais que veux-tu ? j’ai des craintes, je me sens des révoltes, parfois. Il me semble qu’on m’a fait tort, et alors j’ai des envies d’être méchante. Je t’ouvre mon cœur, à toi. Chaque fois qu’on me jette le nom de mon père au visage, j’éprouve une brûlure par tout le corps. Quand je passe et que les gamins crient : Eh ! la Chantegreil ! cela me met hors de moi ; je voudrais les tenir pour les battre.

Et, après un silence farouche, elle reprit :

— Tu es un homme, toi, tu vas tirer des coups de fusil… Tu es bien heureux.

Silvère l’avait laissée parler. Au bout de quelques pas, il dit d’une voix triste :

— Tu as tort, Miette ; ta colère est mauvaise. Il ne faut pas se révolter contre la justice. Moi je vais me battre pour notre droit à tous ; je n’ai aucune vengeance à satisfaire.

— N’importe, continua la jeune fille, je voudrais être un