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LES ROUGON-MACQUART.

che ; elle se penchait, rouge, décoiffée, vibrante de rires. Et Silvère, qui se trouvait presque toujours le premier au rendez-vous, éprouvait, en la voyant apparaître dans l’eau, avec cette rieuse et folle hâte, la sensation vive qu’il aurait ressentie, si elle s’était jetée brusquement dans ses bras, au détour d’un sentier. Autour d’eux, les gaietés de la radieuse matinée chantaient, un flot de lumière chaude, toute sonore d’un bourdonnement d’insectes, battait la vieille muraille, les piliers et les margelles. Mais eux ne voyaient plus la matinale ondée de soleil, n’entendaient plus les mille bruits qui montaient du sol : ils étaient au fond de leur cachette verte, sous la terre, dans ce trou mystérieux et vaguement effrayant, s’oubliant à jouir de la fraîcheur et du demi-jour avec une joie frissonnante.

Certains matins, Miette, dont le tempérament ne s’accommodait pas d’une longue contemplation, se montrait taquine ; elle remuait la corde, elle faisait tomber exprès des gouttes d’eau qui ridaient les clairs miroirs et déformaient les images. Silvère la suppliait de se tenir tranquille. Lui, d’une ardeur plus concentrée, ne connaissait pas de plus vif plaisir que de regarder le visage de son amie, réfléchi dans toute la pureté de ses traits. Mais elle ne l’écoutait pas, elle plaisantait, elle faisait la grosse voix, une voix de croquemitaine, à laquelle l’écho donnait une douceur rauque.

— Non, non, grondait-elle, je ne t’aime pas aujourd’hui, je te fais la grimace ; vois comme je suis laide.

Et elle s’égayait à voir les formes bizarres que prenaient leurs figures élargies, dansantes sur l’eau.

Un matin, elle se fâcha pour tout de bon. Elle ne trouva pas Silvère au rendez-vous, et elle l’attendit près d’un quart d’heure, en faisant vainement grincer la poulie. Elle allait s’éloigner, exaspérée, lorsqu’il arriva enfin. Dès qu’elle l’aperçut, elle déchaîna une véritable tempête dans le puits ; elle agitait le seau d’une main irritée, l’eau noirâtre tour-