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LES ROUGON-MACQUART.

qui lui servait d’échelle. Silvère, debout sur la pierre tombale, pouvait lui reprendre les mains, se remettre à causer à demi-voix. Ils répétaient plus de dix fois : « À demain ! » et trouvaient toujours de nouvelles paroles. Silvère grondait.

— Voyons, descends, il est plus de minuit.

Mais, avec des entêtements de fille, Miette voulait qu’il descendît le premier ; elle désirait le voir s’en aller. Et, comme le jeune homme tenait bon, elle finissait par dire brusquement, pour le punir, sans doute :

— Je vais sauter, tu vas voir.

Et elle sautait du mûrier, au grand effroi de Silvère. Il entendait le bruit sourd de sa chute ; puis elle s’enfuyait avec un éclat de rire, sans vouloir répondre à son dernier adieu. Il restait quelques instants à regarder son ombre vague s’enfoncer dans le noir, et lentement il descendait à son tour, il regagnait l’impasse Saint-Mittre.

Pendant deux années, ils vinrent là chaque jour. Ils y jouirent, lors de leurs premiers rendez-vous, de quelques belles nuits encore toutes tièdes. Les amoureux purent se croire en mai, au mois des frissons de la séve, lorsqu’une bonne odeur de terre et de feuilles nouvelles traîne dans l’air chaud. Ce renouveau, ce printemps tardif fut pour eux comme une grâce du ciel, qui leur permit de courir librement dans l’allée et d’y resserrer leur amitié d’un lien étroit.

Puis arrivèrent les pluies, les neiges, les gelées. Ces mauvaises humeurs de l’hiver ne les retinrent pas. Miette ne vint plus sans sa grande pelisse brune, et ils se moquèrent tous deux des vilains temps. Quand la nuit était sèche et claire, que de petits souffles soulevaient sous leurs pas une poussière blanche de gelée, et les frappaient au visage comme à coups de baguettes minces, ils se gardaient bien de s’asseoir ; ils allaient et venaient plus vite, enveloppés