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LA FORTUNE DES ROUGON.

avait grandi ainsi que ces herbes folles ; il y avait fleuri comme ces coquelicots que la moindre brise faisait battre sur leurs tiges, pareils à des cœurs ouverts et saignants. Et ils s’expliquaient les haleines tièdes passant sur leur front, les chuchotements entendus dans l’ombre, le long frisson qui secouait l’allée : c’étaient les morts qui leur soufflaient leurs passions disparues au visage, les morts qui leur contaient leur nuit de noces, les morts qui se retournaient dans la terre, pris du furieux désir d’aimer, de recommencer l’amour. Ces ossements, ils le sentaient bien, étaient pleins de tendresse pour eux ; les crânes brisés se réchauffaient aux flammes de leur jeunesse, les moindres débris les entouraient d’un murmure ravi, d’une sollicitude inquiète, d’une jalousie frémissante. Et quand ils s’éloignaient, l’ancien cimetière pleurait. Ces herbes, qui leur liaient les pieds par les nuits de feu, et qui les faisaient vaciller, c’étaient des doigts minces, effilés par la tombe, sortis de terre pour les retenir, pour les jeter aux bras l’un de l’autre. Cette odeur âcre et pénétrante qu’exhalaient les tiges brisées, c’était la senteur fécondante, le suc puissant de la vie, qu’élaborent lentement les cercueils et qui grisent de désirs les amants égarés dans la solitude des sentiers. Les morts, les vieux morts, voulaient les noces de Miette et de Silvère.

Jamais les enfants ne furent pris d’effroi. La tendresse flottante qu’ils devinaient autour d’eux les touchait, leur faisait aimer les êtres invisibles dont ils croyaient souvent sentir le frôlement, pareil à un léger battement d’ailes. Ils étaient simplement attristés parfois d’une tristesse douce, et ils ne comprenaient pas ce que les morts voulaient d’eux. Ils continuaient à vivre leurs amours ignorantes, au milieu de ce flot de sève, dans ce bout de cimetière abandonné, où la terre engraissée suait la vie, et qui exigeait impérieusement leur union. Les voix bourdonnantes qui faisaient sonner leurs oreilles, les chaleurs subites qui leur poussaient tout le sang