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Page:Emile Zola - La Fortune des Rougon.djvu/255

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LA FORTUNE DES ROUGON.

naient à se regarder. Autour d’eux, le jour grandissait. Le jeune homme, que son patron envoyait parfois à Orchères, choisissait sans hésiter les bons sentiers, les plus directs. Ils firent ainsi plus de deux lieues, dans des chemins creux, le long de haies et de murailles interminables. Miette accusait Silvère de l’avoir égarée. Souvent, pendant des quarts d’heure entiers, ils ne voyaient pas un bout du pays, ils n’apercevaient, au-dessus des murailles et des haies, que de longues files d’amandiers dont les branches maigres se détachaient sur la pâleur du ciel.

Brusquement, ils débouchèrent juste en face d’Orchères. De grands cris de joie, des brouhahas de foule leur arrivaient, clairs dans l’air limpide. La bande insurrectionnelle entrait à peine dans la ville. Miette et Silvère y pénétrèrent avec les traînards. Jamais ils n’avaient vu un enthousiasme pareil. Dans les rues, on eût dit un jour de procession, lorsque le passage du dais met les plus belles draperies aux fenêtres. On fêtait les insurgés comme on fête des libérateurs. Les hommes les embrassaient, les femmes leur apportaient des vivres. Et il y avait, sur les portes, des vieillards qui pleuraient. Allégresse toute méridionale qui s’épanchait d’une façon bruyante, chantant, dansant, gesticulant. Comme Miette passait, elle fut prise dans une immense farandole qui tournait sur la Grand’Place. Silvère la suivit. Ses idées de mort, de découragement, étaient loin à cette heure. Il voulait se battre, vendre du moins chèrement sa vie. L’idée de la lutte le grisait de nouveau. Il rêvait la victoire, la vie heureuse avec Miette, dans la grande paix de la République universelle.

Cette réception fraternelle des habitants d’Orchères fut la dernière joie des insurgés. Ils passèrent la journée dans une confiance rayonnante, dans un espoir sans bornes. Les prisonniers, le commandant Sicardot, MM. Garçonnet, Peirotte et les autres, qu’on avait enfermés dans une salle