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LA FORTUNE DES ROUGON.

avec son sourire d’indifférent affectueux ; battez-vous, je suis là pour vous raccommoder les bras et les jambes.

Et, le matin, il s’était tranquillement mis à ramasser le long de la route des cailloux et des plantes. Il se désespérait de ne pas avoir emporté son marteau de géologue et sa boîte à herboriser. À cette heure, ses poches, pleines de pierres, crevaient, et sa trousse, qu’il tenait sous le bras, laissait passer des paquets de longues herbes.

— Tiens, c’est toi, mon garçon ! s’écria-t-il en apercevant Silvère. Je croyais être ici le seul de la famille.

Il prononça ces derniers mots avec quelque ironie, raillant doucement les menées de son père et de l’oncle Antoine. Silvère fut heureux de rencontrer son cousin ; le docteur était le seul des Rougon qui lui serrât la main dans les rues et qui lui témoignât une sincère amitié. Aussi, en le voyant couvert encore de la poussière de la route, et le croyant acquis à la cause républicaine, le jeune homme montra-t-il une vive joie. Il lui parla des droits du peuple, de sa cause sainte, de son triomphe assuré, avec une emphase juvénile. Pascal l’écoutait en souriant ; il examinait avec curiosité ses gestes, les jeux ardents de sa physionomie, comme s’il eût étudié un sujet, disséqué un enthousiasme, pour voir ce qu’il y a au fond de cette fièvre généreuse.

— Comme tu vas ! comme tu vas ! Ah ! que tu es bien le petit-fils de ta grand’mère !

Et il ajouta, à voix basse, du ton d’un chimiste qui prend des notes :

— Hystérie ou enthousiasme, folie honteuse ou folie sublime. Toujours ces diables de nerfs !

Puis, concluant tout haut, résumant sa pensée :

— La famille est complète, reprit-il. Elle aura un héros.

Silvère n’avait pas entendu. Il continuait à parler de sa chère République. À quelques pas, Miette s’était arrêtée,