Page:Emile Zola - La Fortune des Rougon.djvu/274

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
274
LES ROUGON-MACQUART.

avec leur allure de héros effarouchés. Ils arrivèrent ainsi sur la place de l’Hôtel-de-Ville. Là, ils se groupèrent autour de Rougon, délibérant une fois de plus. En face d’eux, sur la façade noire de la mairie, une seule fenêtre était éclairée. Il était près de sept heures, le jour allait paraître.

Après dix bonnes minutes de discussion, il fut décidé qu’on avancerait jusqu’à la porte, pour voir ce que signifiait cette ombre et ce silence inquiétants. La porte était entr’ouverte. Un des conjurés passa la tête et la retira vivement, disant qu’il y avait, sous le porche, un homme assis contre le mur, avec un fusil entre les jambes, et qui dormait. Rougon, voyant qu’il pouvait débuter par un exploit, entra le premier, s’empara de l’homme et le maintint, pendant que Roudier le bâillonnait. Ce premier succès, remporté dans le silence, encouragea singulièrement la petite troupe, qui avait rêvé une fusillade très-meurtrière. Et Rougon faisait des signes impérieux pour que la joie de ses soldats n’éclatât pas trop bruyamment.

Ils continuèrent à avancer sur la pointe des pieds. Puis, à gauche, dans le poste de police qui se trouvait là, ils aperçurent une quinzaine d’hommes couchés sur un lit de camp, ronflant dans la lueur mourante d’une lanterne accrochée au mur. Rougon, qui décidément devenait un grand général, laissa devant le poste la moitié de ses hommes, avec l’ordre de ne pas réveiller les dormeurs, mais de les tenir en respect et de les faire prisonniers, s’ils bougeaient. Ce qui l’inquiétait, c’était cette fenêtre éclairée qu’ils avaient vue de la place ; il flairait toujours Macquart dans l’affaire, et comme il sentait qu’il fallait d’abord s’emparer de ceux qui veillaient en haut, il n’était pas fâché d’opérer par surprise, avant que le bruit d’une lutte les fît se barricader. Il monta doucement, suivi des vingt héros dont il disposait encore. Roudier commandait le détachement resté dans la cour.

Macquart, en effet, se carrait en haut dans le cabinet du