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LA FORTUNE DES ROUGON.

Elle en devenait folle, à ce point qu’elle oublia elle-même toute prudence.

— Hein ! c’est à moi que tu dois tout cela ! s’écria-t-elle avec une explosion de triomphe. Si je t’avais laissé agir, tu te serais fait bêtement pincer par les insurgés. Nigaud, c’était le Garçonnet, le Sicardot et les autres, qu’il fallait jeter à ces bêtes féroces.

Et, montrant ses dents branlantes de vieille, elle ajouta avec un rire de gamine :

— Eh ! vive la République ! elle a fait place nette.

Mais Pierre était devenu maussade.

— Toi, toi, murmura-t-il, tu crois toujours avoir tout prévu. C’est moi qui ai eu l’idée de me cacher. Avec cela que les femmes entendent quelque chose à la politique ! Va, ma pauvre vieille, si tu conduisais la barque, nous ferions vite naufrage.

Félicité pinça les lèvres. Elle s’était trop avancée, elle avait oublié son rôle de bonne fée muette. Mais il lui vint une de ces rages sourdes, qu’elle éprouvait quand son mari l’écrasait de sa supériorité. Elle se promit de nouveau, lorsque l’heure serait venue, quelque vengeance exquise qui lui livrerait le bonhomme pieds et poings liés.

— Ah ! j’oubliais, reprit Rougon, M. Peirotte est de la danse. Granoux l’a vu qui se débattait entre les mains des insurgés.

Félicité eut un tressaillement. Elle était justement à la fenêtre, qui regardait avec amour les croisées du receveur particulier. Elle venait d’éprouver le besoin de les revoir, car l’idée du triomphe se confondait en elle avec l’envie de ce bel appartement, dont elle usait les meubles du regard, depuis si longtemps.

Elle se retourna, et, d’une voix étrange :

— M. Peirotte est arrêté ? dit-elle.

Elle sourit complaisamment ; puis une vive rougeur lui