vieille femme qu’il était d’une bien plus grande politesse. Les « monsieur », les « madame » roulaient, avec une musique délicieuse. D’ailleurs, les habitués arrivaient à la file, le salon s’emplissait. Personne ne connaissait encore, dans leurs détails, les événements de la nuit, et tous accouraient, les yeux hors de la tête, le sourire aux lèvres, poussés par les rumeurs qui commençaient à courir la ville. Ces messieurs qui, la veille au soir, avaient quitté si précipitamment le salon jaune, à la nouvelle de l’approche des insurgés, revenaient, bourdonnants, curieux et importuns, comme un essaim de mouches qu’aurait dispersé un coup de vent. Certains n’avaient pas même pris le temps de mettre leurs bretelles. Leur impatience était grande, mais il était visible que Rougon attendait quelqu’un pour parler. À chaque minute, il tournait vers la porte un regard anxieux. Pendant une heure, ce furent des poignées de main expressives, des félicitations vagues, des chuchotements admiratifs, une joie contenue, sans cause certaine, et qui ne demandait qu’un mot pour devenir de l’enthousiasme.
Enfin Granoux parut. Il s’arrêta un instant sur le seuil, la main droite dans sa redingote boutonnée ; sa grosse face blême, qui jubilait, essayait vainement de cacher son émotion sous un grand air de dignité. À son apparition, il se fit un silence ; on sentit qu’une chose extraordinaire allait se passer. Ce fut au milieu d’une haie que Granoux marcha droit vers Rougon. Il lui tendit la main.
— Mon ami, lui dit-il, je vous apporte l’hommage du conseil municipal. Il vous appelle à sa tête, en attendant que notre maire nous soit rendu. Vous avez sauvé Plassans. Il faut, dans l’époque abominable que nous traversons, des hommes qui allient votre intelligence à votre courage. Venez…
Granoux, qui récitait là un petit discours qu’il avait