cristain. Puis il vint tendre sa main humide à Rougon et aux deux autres. Vuillet avait fait ses petites affaires tout seul. Il s’était taillé lui-même sa part du gâteau, comme aurait dit Félicité. Il avait vu, par le soupirail de sa cave, les insurgés venir arrêter le directeur des postes, dont les bureaux étaient voisins de sa librairie. Aussi, dès le matin, à l’heure même où Rougon s’asseyait dans le fauteuil du maire, était-il allé s’installer tranquillement dans le cabinet du directeur. Il connaissait les employés ; il les avait reçus à leur arrivée, en leur disant qu’il remplacerait leur chef jusqu’à son retour, et qu’ils n’eussent à s’inquiéter de rien. Puis il avait fouillé le courrier du matin avec une curiosité mal dissimulée ; il flairait les lettres ; il semblait en chercher une particulièrement. Sans doute sa situation nouvelle répondait à un de ses plans secrets, car il alla, dans son contentement, jusqu’à donner à un de ses employés un exemplaire des Œuvres badines de Piron. Vuillet avait un fonds très-assorti de livres obscènes, qu’il cachait dans un grand tiroir, sous une couche de chapelets et d’images saintes ; c’était lui qui inondait la ville de photographies et de gravures honteuses, sans que cela nuisît le moins du monde à la vente des paroissiens. Cependant il dut s’effrayer, dans la matinée, de la façon cavalière dont il s’était emparé de l’hôtel des postes. Il songea à faire ratifier son usurpation. Et c’est pourquoi il accourait chez Rougon, qui devenait décidément un puissant personnage.
— Où êtes-vous donc passé ? lui demanda Félicité d’un air méfiant.
Alors il conta son histoire, qu’il enjoliva. Selon lui, il avait sauvé l’hôtel des postes du pillage.
— Eh bien, c’est entendu, restez-y ! dit Pierre après avoir réfléchi un moment. Rendez-vous utile.
Cette dernière phrase indiquait la grande terreur des Rougon ; ils avaient peur qu’on ne se rendît trop utile, qu’on ne sauvât la ville plus qu’eux. Mais Pierre n’avait trouvé aucun