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LA FORTUNE DES ROUGON.

— Eh ! dit-il de sa voix nette, j’entends le tocsin.

Tous se penchèrent sur le parapet, retenant leur souffle. Et, légers, avec des puretés de cristal, les tintements éloignés d’une cloche montèrent de la plaine. Ces messieurs ne purent nier. C’était bien le tocsin. Rougon prétendit reconnaître la cloche du Béage, un village situé à une grande lieue de Plassans. Il disait cela pour rassurer ses collègues.

— Écoutez, écoutez, interrompit le marquis. Cette fois, c’est la cloche de Saint-Maur.

Et il leur désignait un autre point de l’horizon. En effet, une seconde cloche pleurait dans la nuit claire. Puis bientôt ce furent dix cloches, vingt cloches, dont leurs oreilles, accoutumées au large frémissement de l’ombre, entendirent les tintements désespérés. Des appels sinistres montaient de toutes parts, affaiblis, pareils à des râles d’agonisant. La plaine entière sanglota bientôt. Ces messieurs ne plaisantaient plus Roudier. Le marquis, qui prenait une joie méchante à les effrayer, voulut bien leur expliquer la cause de toutes ces sonneries :

— Ce sont, dit-il, les villages voisins qui se réunissent pour venir attaquer Plassans au point du jour.

Granoux écarquillait les yeux.

— Vous n’avez rien vu, là-bas ! demanda-t-il tout à coup.

Personne ne regardait. Ces messieurs fermaient les yeux pour mieux entendre.

— Ah ! tenez ! reprit-il au bout d’un silence. Au-delà de la Viorne, près de cette masse noire.

— Oui, je vois, répondit Rougon, désespéré ; c’est un feu qu’on allume.

Un autre feu fut allumé presque immédiatement en face du premier, puis un troisième, puis un quatrième. Des taches rouges apparurent ainsi sur toute la longueur de la