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LA FORTUNE DES ROUGON.

de cinq membres, en comptant le président, déclara que c’était là une imprudence impardonnable. Bien que la sentinelle laissée à l’hôtel Valqueyras n’eût rien vu, il fallait tenir la ville close. Alors Rougon décida que le crieur public, accompagné d’un tambour, irait par les rues proclamer la ville en état de siége et annoncer aux habitants que quiconque sortirait ne pourrait plus rentrer. Les portes furent officiellement fermées, en plein midi. Cette mesure, prise pour rassurer la population, porta l’épouvante à son comble. Et rien ne fut plus curieux que cette cité qui se cadenassait, qui poussait les verrous, sous le clair soleil, au beau milieu du dix-neuvième siècle.

Quand Plassans eut bouclé et serré autour de lui la ceinture usée de ses remparts, quand il se fut verrouillé comme une forteresse assiégée aux approches d’un assaut, une angoisse mortelle passa sur les maisons mornes. À chaque heure, du centre de la ville, on croyait entendre des fusillades éclater dans les faubourgs. On ne savait plus rien, on était au fond d’une cave, d’un trou muré dans l’attente anxieuse de la délivrance ou du coup de grâce. Depuis deux jours, les bandes d’insurgés qui battaient la campagne, avaient interrompu toutes les communications. Plassans, acculé dans l’impasse où il est bâti, se trouvait séparé du reste de la France. Il se sentait en plein pays de rébellion ; autour de lui, le tocsin sonnait, la Marseillaise grondait, avec des clameurs de fleuve débordé. La ville, abandonnée et frissonnante, était comme une proie promise aux vainqueurs, et les promeneurs du cours passaient, à chaque minute, de la terreur à l’espérance, en croyant apercevoir à la Grand’Porte, tantôt des blouses d’insurgés et tantôt des uniformes de soldats. Jamais sous-préfecture, dans son cachot de murs croulants, n’eut une agonie plus douloureuse.

Vers deux heures, le bruit se répandit que le coup d’État