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LA FORTUNE DES ROUGON.

leries profondes, et dont elle mûrissait le plan avec des raffinements de femme blessée.

Elle trouva Pierre couché, dormant d’un sommeil lourd ; elle approcha un instant la bougie, et regarda, d’un air de pitié, son visage épais, où couraient par moments de légers frissons ; puis elle s’assit au chevet du lit, ôta son bonnet, s’échevela, se donna la mine d’une personne désespérée, et se mit à sangloter très-haut.

— Hein ! qu’est-ce que tu as, pourquoi pleures-tu ? demanda Pierre brusquement réveillé.

Elle ne répondit pas, elle pleura plus amèrement.

— Par grâce, réponds, reprit son mari que ce muet désespoir épouvantait. Où es-tu allée ? Tu as vu les insurgés ?

Elle fit signe que non ; puis, d’une voix éteinte :

— Je viens de l’hôtel Valqueyras, murmura-t-elle. Je voulais demander conseil à M. de Carnavant. Ah ! mon pauvre ami, tout est perdu.

Pierre se mit sur son séant, très-pâle. Son cou de taureau que montrait sa chemise déboutonnée, sa chair molle était toute gonflée par la peur. Et, au milieu du lit défait, il s’affaissait comme un magot chinois, blême et pleurard.

— Le marquis, continua Félicité, croit que le prince Louis a succombé ; nous sommes ruinés, nous n’aurons jamais un sou.

Alors, comme il arrive aux poltrons, Pierre s’emporta. C’était la faute du marquis, la faute de sa femme, la faute de toute sa famille. Est-ce qu’il pensait à la politique, lui, quand M. de Carnavant et Félicité l’avaient jeté dans ces bêtises-là !

— Moi, je m’en lave les mains, cria-t-il. C’est vous deux qui avez fait la sottise. Est-ce qu’il n’était pas plus sage de manger tranquillement nos petites rentes ? Toi, tu