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LA FORTUNE DES ROUGON.

du cœur poussé par Antoine fit revenir sur ses pas. Vous avez grand tort de ne pas vous mettre aveuglément de notre côté. Mille francs, c’est une jolie somme, et on ne la risque que pour une cause gagnée. Acceptez, je vous le conseille.

Il hésitait toujours.

— Mais quand nous voudrons prendre la mairie, est-ce qu’on nous laissera entrer tranquillement ?

— Ça, je ne sais pas, dit-elle avec un sourire. Il y aura peut-être des coups de fusil.

Il la regarda fixement.

— Eh ! dites donc, la petite mère, reprit-il d’une voix rauque, vous n’avez pas au moins l’intention de me faire loger une balle dans la tête ?

Félicité rougit. Elle pensait justement, en effet, qu’une balle, pendant l’attaque de la mairie, leur rendrait un grand service en les débarrassant d’Antoine. Ce serait mille francs de gagnés. Aussi se fâcha-t-elle en murmurant :

— Quelle idée !… Vraiment, c’est atroce d’avoir des idées pareilles.

Puis, subitement calmée :

— Acceptez-vous ?… Vous avez compris, n’est-ce pas ?

Macquart avait parfaitement compris. C’était un guet-apens qu’on lui proposait. Il n’en voyait ni les raisons ni les conséquences ; ce qui le décida à marchander. Après avoir parlé de la République comme d’une maîtresse à lui qu’il était désespéré de ne plus aimer, il mit en avant les risques qu’il aurait à courir, et finit par demander deux mille francs. Mais Félicité tint bon. Et ils discutèrent jusqu’à ce qu’elle lui eût promis de lui procurer, à sa rentrée en France, une place où il n’aurait rien à faire, et qui lui rapporterait gros. Alors le marché fut conclu. Elle lui fit endosser l’uniforme de garde national qu’elle avait apporté. Il devait se retirer paisiblement chez tante Dide, puis amener, vers minuit, sur la place de l’hôtel de ville, tous les