Aller au contenu

Page:Emile Zola - La Fortune des Rougon.djvu/337

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
337
LA FORTUNE DES ROUGON.

prit au passage. Il s’y installa magistralement, en homme qui entend ne plus quitter la place. Il envoya simplement un mot à Roudier, pour l’avertir qu’il reprenait le pouvoir. « Veillez aux portes, disait-il, sachant que ces lignes pouvaient devenir publiques ; moi, je veillerai à l’intérieur, je ferai respecter les propriétés et les personnes. C’est au moment où les mauvaises passions renaissent et l’emportent, que les bons citoyens doivent chercher à les étouffer, au péril de leur vie. » Le style, les fautes d’orthographe rendaient plus héroïque ce billet, d’un laconisme antique. Pas un de ces messieurs de la commission provisoire ne parut. Les deux derniers fidèles, Granoux lui-même, se tinrent prudemment chez eux. De cette commission, dont les membres s’étaient évanouis, à mesure que la panique soufflait plus forte, il n’y avait que Rougon qui restât à son poste, sur son fauteuil de président. Il ne daigna pas même envoyer un ordre de convocation. Lui seul, et c’était assez. Sublime spectacle qu’un journal de la localité devait plus tard caractériser d’un mot : « le courage donnant la main au devoir. »

Pendant toute la matinée, on vit Pierre emplir la mairie de ses allées et venues. Il était absolument seul, dans ce grand bâtiment vide, dont les hautes salles retentissaient longuement du bruit de ses talons. D’ailleurs, toutes les portes étaient ouvertes. Il promenait au milieu de ce désert sa présidence sans conseil, d’un air si pénétré de sa mission, que le concierge, en le rencontrant deux ou trois fois dans les couloirs, le salua d’un air surpris et respectueux. On l’aperçut derrière chaque croisée, et, malgré le froid vif, il parut à plusieurs reprises sur le balcon, avec des liasses de papiers dans les mains, comme un homme affairé qui attend des messages importants.

Puis, vers midi, il courut la ville ; il visita les postes, parlant d’une attaque possible, donnant à entendre que les in-