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LA FORTUNE DES ROUGON.

que le président de la commission provisoire reçut la députation de la ville neuve. Ces messieurs, après avoir rendu hommage à son patriotisme, le supplièrent de ne pas songer à la résistance. Mais lui, d’une voix haute, parla du devoir, de la patrie, de l’ordre, de la liberté, et d’autres choses encore. D’ailleurs, il ne forçait personne à l’imiter ; il accomplissait simplement ce que sa conscience, son cœur lui dictaient.

— Vous le voyez, messieurs, je suis seul, dit-il en terminant. Je veux prendre toute la responsabilité pour que nul autre que moi ne soit compromis. Et, s’il faut une victime, je m’offre de bon cœur ; je désire que le sacrifice de ma vie sauve celle des habitants.

Un notaire, la forte tête de la bande, lui fit remarquer qu’il courait à une mort certaine.

— Je le sais, reprit-il gravement. Je suis prêt !

Ces messieurs se regardèrent. Ce « Je suis prêt ! » les cloua d’admiration. Décidément, cet homme était un brave. Le notaire le conjura d’appeler à lui les gendarmes ; mais il répondit que le sang de ces soldats était précieux et qu’il ne le ferait couler qu’à la dernière extrémité. La députation se retira lentement, très-émue. Une heure après, Plassans traitait Rougon de héros ; les plus poltrons l’appelaient « un vieux fou. »

Vers le soir, Rougon fut très-étonné de voir accourir Granoux. L’ancien marchand d’amandes se jeta dans ses bras, en l’appelant « grand homme, » et en lui disant qu’il voulait mourir avec lui. Le « Je suis prêt ! » que sa bonne venait de lui rapporter de chez la fruitière, l’avait réellement enthousiasmé. Au fond de ce peureux, de ce grotesque, il y avait des naïvetés charmantes. Pierre le garda, pensant qu’il ne tirait pas à conséquence. Il fut même touché du dévouement du pauvre homme ; il se promit de le faire complimenter publiquement par le préfet, ce qui ferait crever de dépit