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LA FORTUNE DES ROUGON.

veiller encore sur la ville jusqu’au retour des autorités ; et Rougon saluait, tandis que le préfet, arrivé à la porte de la sous-préfecture, où il désirait se reposer un moment, disait à voix haute qu’il n’oublierait pas dans son rapport de faire connaître sa belle et courageuse conduite.

Cependant, malgré le froid vif, tout le monde se trouvait aux fenêtres. Félicité, se penchant à la sienne, au risque de tomber, était toute pâle de joie. Justement Aristide venait d’arriver avec un numéro de l’Indépendant, dans lequel il s’était nettement déclaré en faveur du coup d’État, qu’il accueillait « comme l’aurore de la liberté dans l’ordre et de l’ordre dans la liberté. » Et il avait fait aussi une délicate allusion au salon jaune, reconnaissant ses torts, disant que « la jeunesse est présomptueuse, » et que « les grands citoyens se taisent, réfléchissent dans le silence et laissent passer les insultes, pour se dresser debout dans leur héroïsme au jour de lutte. » Il était surtout content de cette phrase. Sa mère trouva l’article supérieurement écrit. Elle embrassa le cher enfant, le mit à sa droite. Le marquis de Carnavant, qui était également venu la voir, las de se cloîtrer, pris d’une curiosité furieuse, s’accouda à sa gauche, sur la rampe de la fenêtre.

Quand M. de Blériot, sur la place, tendit la main à Rougon, Félicité pleura.

— Oh ! vois, vois, dit-elle à Aristide. Il lui a serré la main. Tiens, il la lui prend encore !

Et jetant un coup d’œil sur les fenêtres où les têtes s’entassaient :

— Qu’ils doivent rager ! Regarde donc la femme à M. Peirotte, elle mord son mouchoir. Et là-bas, les filles du notaire, et madame Massicot, et la famille Brunet, quelles figures, hein ? comme leur nez s’allonge !… Ah ! dame, c’est notre tour, maintenant.

Elle suivit la scène qui se passait à la porte de la sous-