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Page:Emile Zola - La Fortune des Rougon.djvu/385

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LA FORTUNE DES ROUGON.

s’était collé par gentillesse au-dessus de l’oreille droite, coupa un bout du satin avec son couteau à dessert, et vint le passer solennellement à la boutonnière de Rougon. Celui-ci fit le modeste. Il se débattit, la face radieuse, en murmurant :

— Non, je vous en prie, c’est trop tôt. Il faut attendre que le décret ait paru.

— Sacrebleu ! s’écria Sicardot, voulez-vous bien garder ça ! c’est un vieux soldat de Napoléon qui vous décore !

Tout le salon jaune éclata en applaudissements. Félicité se pâma. Granoux le muet, dans son enthousiasme, monta sur une chaise, en agitant sa serviette et en prononçant un discours qui se perdit au milieu du vacarme. Le salon jaune triomphait, délirait.

Mais le chiffon de satin rose, passé à la boutonnière de Pierre, n’était pas la seule tache rouge dans le triomphe des Rougon. Oublié sous le lit de la pièce voisine, se trouvait encore un soulier au talon sanglant. Le cierge qui brûlait auprès de M. Peirotte, de l’autre côté de la rue, saignait dans l’ombre comme une blessure ouverte. Et, au loin, au fond de l’aire Saint-Mittre, sur la pierre tombale, une mare de sang se caillait.


FIN