Page:Emile Zola - La Fortune des Rougon.djvu/52

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
52
LES ROUGON-MACQUART.

bête caressante qui cède à ses instincts. Quand Macquart était en tournée, elle passait ses journées, oisive, songeuse, ne s’occupant de ses enfants que pour les embrasser et jouer avec eux. Puis, dès le retour de son amant, elle disparaissait.

Derrière la masure de Macquart, il y avait une petite cour qu’une muraille séparait du terrain des Fouque. Un matin, les voisins furent très-surpris en voyant cette muraille percée d’une porte, qui la veille au soir n’était pas là. En une heure, le faubourg entier défila aux fenêtres voisines. Les amants avaient dû travailler toute la nuit pour creuser l’ouverture et pour poser la porte. Maintenant, ils pouvaient aller librement de l’un chez l’autre. Le scandale recommença ; on fut moins doux pour Adélaïde, qui décidément était la honte du faubourg ; cette porte, cet aveu tranquille et brutal de vie commune lui fut plus violemment reproché que ses deux enfants. « On sauve au moins les apparences, » disaient les femmes les plus tolérantes. Adélaïde ignorait ce qu’on appelle « sauver les apparences ; » elle était très-heureuse, très-fière de sa porte ; elle avait aidé Macquart à arracher les pierres du mur, elle lui avait même gâché du plâtre pour que la besogne allât plus vite ; aussi vint-elle, le lendemain, avec une joie d’enfant, regarder son œuvre, en plein jour, ce qui parut le comble du dévergondage à trois commères, qui l’aperçurent, contemplant la maçonnerie encore fraîche. Dès lors, à chaque apparition de Macquart, on pensa, en ne voyant plus la jeune femme, qu’elle allait vivre avec lui dans la masure de l’impasse Saint-Mittre.

Le contrebandier venait très-irrégulièrement, presque toujours à l’improviste. Jamais on ne sut au juste quelle était la vie des amants, pendant les deux ou trois jours qu’il passait à la ville, de loin en loin. Ils s’enfermaient, le petit logis paraissait inhabité. Le faubourg ayant décidé que Macquart avait séduit Adélaïde uniquement pour lui manger son ar-