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LA FORTUNE DES ROUGON.


Lorsque, à dix-sept ans, Pierre apprit et put comprendre les désordres d’Adélaïde et la singulière situation d’Antoine et d’Ursule, il ne parut ni triste ni indigné, mais simplement très-préoccupé du parti que ses intérêts lui conseillaient de prendre. Des trois enfants, lui seul avait suivi l’école avec une certaine assiduité. Un paysan qui commence à sentir la nécessité de l’instruction, devient le plus souvent un calculateur féroce. Ce fut à l’école que ses camarades, par leurs huées et la façon insultante dont ils traitaient son frère, lui donnèrent les premiers soupçons. Plus tard, il s’expliqua bien des regards, bien des paroles. Il vit enfin clairement la maison au pillage. Dès lors, Antoine et Ursule furent pour lui des parasites éhontés, des bouches qui dévoraient son bien. Quant à sa mère, il la regarda du même œil que le faubourg, comme une femme bonne à enfermer, qui finirait par manger son argent, s’il n’y mettait ordre. Ce qui acheva de le navrer, ce furent les vols du maraîcher. L’enfant tapageur se transforma, du jour au lendemain, en un garçon économe et égoïste, mûri hâtivement dans le sens de ses instincts par l’étrange vie de gaspillage qu’il ne pouvait voir maintenant autour de lui sans en avoir le cœur crevé. C’était à lui ces légumes sur la vente desquels le maraîcher prélevait les plus gros bénéfices ; c’était à lui ce vin bu, ce pain mangé par les bâtards de sa mère. Toute la maison, toute la fortune étaient à lui. Dans sa logique de paysan, lui seul, fils légitime, devait hériter. Et comme les biens périclitaient, comme tout le monde mordait avidement à sa fortune future, il chercha le moyen de jeter ces gens à la porte, mère, frère, sœur, domestiques, et d’hériter immédiatement.

La lutte fut cruelle. Le jeune homme comprit qu’il devait avant tout frapper sa mère. Il exécuta pas à pas, avec une patience tenace, un plan dont il avait longtemps mûri chaque détail. Sa tactique fut de se dresser devant Adélaïde comme