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LES ROUGON-MACQUART.

Pascal n’était pas davantage compris par ses parents. Lorsque Félicité lui vit arranger sa vie d’une façon si étrange et si mesquine, elle fut stupéfaite et lui reprocha de tromper ses espérances. Elle qui tolérait les paresses d’Aristide, qu’elle croyait fécondes, ne put voir sans colère le train médiocre de Pascal, son amour de l’ombre, son dédain de la richesse, sa ferme résolution de rester à l’écart. Certes, ce ne serait pas cet enfant qui contenterait jamais ses vanités !

— Mais d’où sors-tu ? lui disait-elle parfois. Tu n’es pas à nous. Vois tes frères, ils cherchent, ils tâchent de tirer profit de l’instruction que nous leur avons donnée. Toi, tu ne fais que des sottises. Tu nous récompenses bien mal, nous qui nous sommes ruinés pour t’élever. Non, tu n’es pas à nous.

Pascal, qui préférait rire chaque fois qu’il avait à se fâcher, répondait gaiement, avec une fine ironie :

— Allons, ne vous plaignez pas, je ne veux point vous faire entièrement banqueroute : je vous soignerai tous pour rien, quand vous serez malades.

D’ailleurs, il voyait sa famille rarement, sans afficher la moindre répugnance, obéissant malgré lui à ses instincts particuliers. Avant qu’Aristide fût entré à la sous-préfecture, il vint plusieurs fois à son secours. Il était resté garçon. Il ne se douta seulement pas des graves événements qui se préparaient. Depuis deux ou trois ans, il s’occupait du grand problème de l’hérédité, comparant les races animales à la race humaine, et il s’absorbait dans les curieux résultats qu’il obtenait. Les observations qu’il avait faites sur lui et sur sa famille, avaient été comme le point de départ de ses études. Le peuple comprenait si bien, avec son intuition inconsciente, à quel point il différait des Rougon, qu’il le nommait M. Pascal, sans jamais ajouter son nom de famille.