Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/119

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Lazare, à son tour, pâlissait. Ce chiffre jeté le traversait d’un frisson, évoquait les temps où il aurait cessé d’être, et dont l’éternelle peur veillait au fond de sa chair. Dans cent ans, que serait-il ? quel inconnu boirait à cette place, devant cette table ? Il vida son petit verre d’une main tremblante, pendant que Pauline, qui lui avait repris l’autre main, la serrait de nouveau, maternellement, comme si elle voyait passer, sur ce visage blême, le souffle glacé du jamais plus.

Après un silence, madame Chanteau dit avec gravité :

— Maintenant, si nous terminions l’affaire ?

Elle avait décidé qu’on signerait dans sa chambre : c’était plus solennel. Depuis qu’il prenait du salicylate, Chanteau marchait mieux. Il monta derrière elle, en s’aidant de la rampe ; et, comme Lazare parlait d’aller fumer un cigare sur la terrasse, elle le rappela, elle exigea qu’il fût présent, au moins par convenance. Le docteur et Pauline étaient passés les premiers. Mathieu, étonné de cette procession, suivit le monde.

— Est-il ennuyeux, ce chien, à vous accompagner partout ! cria madame Chanteau, quand elle voulut refermer la porte. Allons, entre, je ne veux pas que tu grattes… Là, personne ne viendra nous déranger… Vous voyez, tout est prêt.

En effet, un encrier et des plumes se trouvaient sur le guéridon. La chambre avait cet air lourd, ce silence mort des pièces dans lesquelles on pénètre rarement. Minouche seule y vivait des journées de paresse, quand elle pouvait s’y glisser le matin. Justement, elle dormait au fond de l’édredon, elle avait levé la tête, surprise de cet envahissement, regardant de ses yeux verts.