Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/128

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vices précoces. À celui-là, elle remit un pain, un pot-au-feu et une pièce de cinq francs. C’était encore une vilaine histoire. Après la destruction de sa maison, Cuche avait quitté sa femme, pour s’installer chez une cousine ; et la femme, aujourd’hui, réfugiée au fond d’un poste de douaniers en ruine, couchait avec tout le pays, malgré sa laideur repoussante. On la payait en nature, des fois on lui donnait trois sous. Le garçon, qui assistait à cela, crevait la faim. Mais il s’échappait d’un saut de chèvre sauvage, lorsqu’on parlait de le retirer de ce cloaque.

Louise, cependant, se détournait, l’air gêné, tandis que Pauline lui racontait cette histoire, sans embarras aucun. Celle-ci, élevée librement, montrait la tranquille bravoure de la charité devant les hontes humaines, savait tout et parlait de tout, avec la franchise de son innocence. Au contraire, l’autre, rendue savante par dix années de pensionnat, rougissait aux images que les mots éveillaient dans sa tête, ravagée par les rêves du dortoir. C’étaient des choses auxquelles on pensait, mais dont il ne fallait point parler.

— Tiens ! justement, continua Pauline, la petite qui reste, cette blondine de neuf ans, si gentille et si rose, est la fille des Gonin, le ménage où ce vaurien de Cuche s’est installé… Ces Gonin, très à leur aise, avaient une barque ; mais le père a été pris par les jambes, une paralysie assez fréquente dans nos villages ; et Cuche, simple matelot d’abord, est devenu bientôt le maître de la barque et de la femme. Maintenant, la maison lui appartient, il tape sur l’infirme, un grand vieux qui passe les nuits et les jours au fond d’un ancien coffre à charbon ; tandis que le matelot et la cousine ont gardé le lit, dans la même