Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/142

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de triomphe saluèrent cette joie inattendue. Le ciel avait des nappes de bleu si larges, encore traversées de quelques haillons noirs, que les jeunes filles s’entêtèrent à n’emporter que leurs ombrelles. Lazare seul prit un parapluie. D’ailleurs, il répondait de leur santé, il les abriterait bien quelque part, si les averses recommençaient.

Pauline et Louise marchaient en avant. Mais, dès la pente raide qui descendait à Bonneville, celle-ci parut faire un faux pas, sur la terre détrempée, et Lazare, courant à elle, lui offrit de la soutenir. Pauline dut les suivre. Sa gaieté du départ était tombée, ses regards soupçonneux remarquaient que le coude de son cousin frôlait d’une continuelle caresse la taille de Louise. Bientôt, elle ne vit plus que ce contact, tout disparut, et la plage où les pêcheurs du pays attendaient d’un air goguenard, et la mer qui montait, et l’épi déjà blanc d’écume. À l’horizon, grandissait une barre sombre, une nuée au galop de tempête.

— Diable ! murmura le jeune homme en se retournant, nous allons encore avoir du bouillon… Mais la pluie nous laissera bien le temps de voir, et nous nous sauverons en face, chez les Houtelard.

La marée, qui avait le vent contre elle, montait avec une lenteur irritante. Sans doute ce vent l’empêcherait d’être aussi forte qu’on l’annonçait. Personne pourtant ne quittait la plage. L’épi, à demi couvert, fonctionnait très bien, coupait les vagues, dont l’eau abattue bouillonnait ensuite jusqu’aux pieds des spectateurs. Mais le triomphe fut la résistance victorieuse des pieux. À chaque lame qui les couvrait, charriant les galets du large, on entendait ces galets tomber et s’amasser de l’autre côté des