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LES ROUGON-MACQUART.

grâce, d’équilibre heureux, lui faisait combattre la rancune trop rude de madame Chanteau, bien que, chaque jour, elle l’écoutât en souriant renchérir sur sa haine de la veille. Elle se récriait, excitée par la violence des mots, toute rose du sourd plaisir qu’elle goûtait à se sentir préférée, maîtresse maintenant de la maison. Elle était comme la Minouche, elle se caressait aux autres, sans méchanceté tant qu’on ne troublait pas son plaisir.

Enfin, chaque soir, après avoir passé par les mêmes redites, la conversation aboutissait à ce début de phrase, prononcé lentement :

— Non, Louisette, la femme qu’il faudrait à mon fils…

Madame Chanteau repartait de là, s’étendait sur les qualités qu’elle exigeait d’une bru parfaite ; et ses yeux ne quittaient plus ceux de la jeune fille, tâchaient de faire entrer en elle les choses qu’elle ne disait pas. Tout le portrait de celle-ci se déroulait : une jeune personne bien élevée, connaissant déjà le monde, capable de recevoir, plutôt gracieuse que belle, surtout très femme, car elle disait détester ces filles garçonnières, brutales sous prétexte de franchise. Puis, il y avait la question de l’argent, la seule décisive, qu’elle effleurait d’un mot : certes, la dot ne comptait pas, mais son fils avait de grands projets, il ne pouvait s’engager dans un mariage ruineux.

— Tiens ! ma chère, Pauline n’aurait pas eu un sou, serait tombée ici sans une chemise, eh bien ! le mariage serait fait depuis des années… Seulement, ne veux-tu pas que je tremble, lorsque je vois l’argent fondre ainsi dans ses mains ? Elle ira loin, n’est-ce pas ? à cette heure, avec ses soixante mille francs… Non, Lazare vaut mieux que cela, je ne le don-