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LES ROUGON-MACQUART.

Puis, comme il n’était plus depuis longtemps à la conversation, il ajoutait :

— Vous avez beau dire, elle n’est pas méchante… Je serai content, le jour où elle redescendra manger sa soupe à côté de moi.

— Nous serons tous contents, s’écriait madame Chanteau avec aigreur. On parle, on dit ce qu’on pense, mais ça n’empêche pas d’aimer le monde.

— Cette pauvre chérie ! déclarait à son tour Louise, je lui prendrais volontiers la moitié de son mal, si ça pouvait se faire… Elle est si gentille !

Véronique, qui apportait les bougeoirs, intervenait de nouveau.

— Vous avez bien raison d’être son amie, mademoiselle Louise, car il faudrait avoir un pavé au lieu de cœur, pour comploter de vilaines choses contre elle.

— C’est bon, on ne te demande pas ton avis, reprenait madame Chanteau. Tu ferais mieux de nettoyer tes bougeoirs… Est-il assez dégoûtant, celui-là !

Tout le monde se levait. Chanteau, fuyant devant cette explication orageuse, s’enfermait dans sa chambre, au rez-de-chaussée. Mais, quand les deux femmes étaient montées au premier étage, où leurs chambres se faisaient face, elles ne se couchaient pas encore. Presque toujours, madame Chanteau emmenait un instant Louise chez elle ; et là, elle se remettait parler de Lazare, étalait ses portraits, allait jusqu’à sortir des souvenirs de lui : une dent qu’on lui avait arrachée tout jeune, des cheveux pâlis de sa première enfance, même d’anciens vêtements, son nœud de communion, sa première culotte.

— Tiens ! voilà de ses cheveux, dit-elle un soir.