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LES ROUGON-MACQUART.

son oncle, les oreilles bourdonnantes de la plainte dont frissonnait la chambre. Cette obsession était si grande, qu’elle en oubliait Lazare et Louise, échangeant avec eux des mots en courant, ne les retrouvant qu’aux rares minutes où elle traversait la salle à manger. Du reste, les travaux des épis étaient terminés, des pluies violentes retenaient les jeunes gens à la maison, depuis une semaine ; et, lorsque l’idée qu’ils se trouvaient ensemble lui revenait tout à coup, elle était heureuse de les savoir près d’elle.

Jamais madame Chanteau n’avait paru si occupée. Elle profitait, disait-elle, du désarroi où les crises de son mari jetaient la famille, pour revoir ses papiers, faire ses comptes, mettre à jour sa correspondance. Aussi, l’après-midi, s’enfermait-elle dans sa chambre, en abandonnant Louise, qui montait aussitôt chez Lazare, car elle avait la solitude en horreur. L’habitude en était prise, ils demeuraient ensemble jusqu’au dîner dans la grande pièce du second étage, cette pièce qui avait servi si longtemps à Pauline de salle d’étude et de récréation.

L’étroit lit de fer du jeune homme était toujours là, caché derrière le paravent ; tandis que le piano se couvrait de poussière, et que la table immense disparaissait sous un encombrement de papiers, de livres, de brochures. Au milieu de la table, entre deux paquets d’algues séchées, il y avait un épi grand comme un joujou, taillé au couteau dans du sapin, et qui rappelait le chef-d’œuvre du grand-père, le pont dont la boîte vitrée ornait la salle à manger.

Lazare, depuis quelque temps, se montrait nerveux. Son équipe d’ouvriers l’avait exaspéré, il venait de se débarrasser des travaux ainsi que d’une corvée trop lourde, sans goûter la joie de voir