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LES ROUGON-MACQUART.

la touchera… Ah ! je m’en moque, vous pouvez bien me donner mes huit jours, elle en saura de belles ! oui, oui, tout ce que vous lui avez fait, avec vos airs de braves gens !

— Veux-tu te taire, enragée ! murmura la vieille dame, inquiète de cette nouvelle scène.

— Non, je ne me tairai pas… C’est trop vilain, entendez-vous ! Il y a des années que ça m’étouffe. Est-ce que ce n’était pas déjà bien joli de lui avoir pris ses sous ? il faut encore que vous lui coupiez le cœur en quatre !… Oh ! je sais ce que je sais, j’ai vu manigancer tout ça… Et, tenez ! monsieur Lazare n’a peut-être pas tant de calcul, mais il n’en vaut guère mieux, il lui donnerait aussi le coup de la mort par égoïsme, histoire de ne pas s’ennuyer… Misère ! Il y en a qui sont nées pour être mangées par les autres !

Elle brandissait son bougeoir, puis elle saisit une casserole qui ronfla comme un tambour, sous le chiffon dont elle l’essuyait. Madame Chanteau avait délibéré si elle ne la jetterait pas dehors. Elle réussit à se vaincre, elle lui demanda froidement :

— Alors, tu ne veux pas monter lui parler ?… C’est pour elle, c’est pour lui éviter des sottises.

De nouveau, Véronique se taisait. Et elle grogna enfin :

— Je monterai tout de même… La raison est la raison, et les coups de tête, ça n’a jamais rien valu.

Elle prit le temps de se laver les mains. Ensuite, elle ôta son tablier sale. Lorsqu’elle se décida à ouvrir la porte du corridor, pour gagner l’escalier, un souffle lamentable entra. C’était le cri de l’oncle, incessant, énervant. Madame Chanteau qui la suivait, parut frappée d’une idée, se reprit à demi-voix, avec insistance :